Votre pire cauchemar # Vëlessia

Nous sommes revenues il y a à peine quelques jours d'une patrouille au sein du royaume. Comme si on allait débusquer la personne qui a tué ce pauvre messager … l'assassin doit être bien loin ! Voire même hors de nos frontières à présent ! Je trouve ça ridicule, nous faisons partie d'une mascarade. Nous aurions dû être déployés bien plus tôt et pouvoir agir. Avec nos dons et notre rang, nous pouvons faire bouger les choses. Est-ce volontaire de la part de notre suzerain de limiter nos actions ? Est-il pour quelque chose dans les événements qui se déroulent sur notre continent ? Je ne crois pas, c'est un bon roi et je ne pense pas qu'il ait des envies expansionnistes. Peut-être que la personne qui est derrière tout ça se cache à Émeraude … ou peut-être pas ! Raaah ! Ça m'énerve de ne pas savoir et de ne pas pouvoir agir ! Nous devrions être à Opale, à Perle, Diamant et Rubis. Les aider, nous devrions enquêter. Les prières ne servent à rien, les dieux sont bien décidés à ne pas agir et nous laisser dans le pétrin dans lequel nous sommes. Peut-être sont-ils la cause de nos malheurs ? Qu'aurions-nous fait pour les offenser au point qu'ils s'en prennent à nous ? Sinon, l'autre théorie c'est que ça les amuse de nous voir dans la merde et de ne pas savoir comment s'en dépêtrer. Mais je pars tout de même du principe que les divinités sont censées être bienveillantes envers nous. Mais il n'en reste pas moins qu'elles devraient commencer à se bouger pour nous aider. Alors oui, depuis quelques jours je fais un peu – beaucoup – la tronche et je ne parle pas beaucoup, ruminant dans mon coin le fait que nous n'agissions pas assez.

Heureusement qu'aujourd'hui il ne fait pas trop froid car nous allons nous entraîner à l'extérieur du château, au moins, ça donne un peu plus envie de sortir des salles bien chauffées par les cheminées. Ça n'empêche pas moins que je n'ai pas prononcé beaucoup de mots depuis mon réveil, il y a à peine quelques heures. Pourquoi je ne le sens pas cet entraînement ? Peut-être parce que je sais que je vais devoir utiliser mon pouvoir sur mon maître. Pas que je n'ai pas confiance en elle et en ses capacités, mais il n'en reste pas moins que je n'aime pas utiliser mon pouvoir. Vous noterez bien que je ne dis pas don mais bel et bien pouvoir. Parce que faire apparaître les peurs des autres n'est en rien un don. C'est plus une malédiction dont je me serais bien passée ! Et pourquoi je ne peux pas être comme les autres membres de ma famille ? Sans pouvoirs … certes, je ne serais pas ici aujourd'hui, mais c'est tout de même un pouvoir dont je me passerais bien. Et puis, je serais avec mes proches à l'heure actuelle. Je n'ai aucune nouvelle d'eux depuis qu'ils m'ont laissé à Émeraude et je ne sais donc pas s'ils sont touchés par l'épidémie qui s'est étendue à Perle. Emmitouflée dans mon manteau de fourrure, j'avance sur le dos de Fantôme aux côtés de Vëlessia. Certes, j'étais d'accord et je le suis encore – un peu – pour cet entraînement, mais là, plus on s'approche du lieu où on s'arrêtera, plus ma motivation descend. Un peu plus et je lui lancerais un « J'ai pas envie ... » laconique pour lui exprimer à quel point cet entraînement ne m'emballe guère.

Nous déposons nos pieds près d'un champ, j'attache à un arbre mon cheval, histoire que si ça dérape nous ne rentrions pas à pied et qu'on ne parte pas à la recherche de Fantôme s'il n'a pas pris le chemin du retour vers le château. Je lui laisse assez de marge pour qu'il puisse brouter à son aise, ventre sur pattes va ! Mes mains s'attardent sur son encolure, tentant de retarder le moment fatidique et inéluctable qui n'est qu'à quelques secondes au mieux, minutes de moi. Poussant un soupire, je me résous à laisser mon étalon pour me retourner et aller me positionner sur le champ vide de toutes graines. Le froid rend la terre plus dure, il n'a pas plus alors nos bottes ne s'enfoncent pas dans le sol qui aurait dû être boueux s'il avait plu. « Et maintenant ? » je marmonne, guère enthousiaste. Mes bras sont croisés sur ma poitrine, un moyen pour moi d'avoir un peu plus chaud si je puis dire … et aussi de montrer un peu plus à quel point l'idée même d'utiliser mon pouvoir m'embête plus qu'autre chose. Je vais être coopérante, promis ! Mais je ne peux nier que ça m'emballe pas du tout ! Surtout qu'il fait froid. Je crois que ça m'aurait aidé à être un peu plus motivée si nous avions été en été. Plus de chaleur, moins envie d'aller me terrer dans les salles du château ou sous les couvertures épaisses de mon lit.

Je n’espère pas que mon pouvoir dérapera, mais j’espère que cet entraînement sera rapidement fini. Est-ce que si ça se passe mal Vëlessia souhaitera tout de même continuer ? Je crains de la blesser. Je ne sais pas ce qu’elle va voir et je dois avouer, que rien d’y penser, ça m’angoisse et me fait moi-même peur. Je peux imaginer les peurs d’Élias, mais ceux de mon maître, non. En fait, à chaque fois que j’use de mon pouvoir, j’ai cette anxiété qui m’envahie. Cela doit être dû au fait que je n’aime pas faire souffrir, et la peur est une souffrance en tout cas, elle l’est lorsque c’est mon pouvoir qui la fait surgir. Plus vite ça sera terminé, mieux se sera. Et j’espère ne pas avoir à refaire un tel entraînement. Même si nous ne l’avons pas encore commencé, je ne l’aime déjà pas. Je préfère m’entraîner à tir à l’arc sur le dos de Fantôme – chose qui me rend nerveuse – que de devoir m’exercer à mieux contrôler mon pouvoir. Mais j’ai accepté la proposition de mon maître et je ne peux pas retourner en arrière – même si j’aimerais bien – en même temps, je ne peux pas ne pas m’entraîner. Même si j’ai un bon contrôle de celui-ci, il vaut mieux que je continue à m’exercer jusqu’à ce qu’il devienne plus stable. « Je peux le déclencher de par ma propre volonté, mais comme vous avez pu le remarquer, il semblerait qu’il le fasse aussi lorsque je ressens une forte émotion. Je dirais que ça doit être la colère, la peur et la douleur, ce sont là trois émotions qui je pense ont le plus de chance de l’activer. Vous savez, j’ai un bon contrôle lorsque c’est moi qui décide de l’utiliser. » J’espère qu’elle ne va pas essayer de me stimuler émotionnellement pour que j’apprenne à le contrôler quand il apparaît de lui-même …

Je secoue la tête négativement lorsqu’elle me demande si je vois les images que je montre à mon adversaire. Je crois que si je les voyais, je paniquerais, en tout cas plus que lorsque je les fais apparaître sans que ça soit de ma propre volonté. « Mais vous savez, je me suis entraînée avec maître Talanian ! » mes bras sont à présent le long de mon corps, je n’aime pas parler de mon pouvoir mais au fond, ça fait du bien de l’expliquer « Je peux cibler une personne, comme faire en sorte que sur un certain périmètre les individus qui y sont soient atteintes. Je crois même me souvenir que maître Talanian avait parlé de plusieurs phases, en fonction de chacune d’entre elles, la peur est plus ou moins présente. Quelque chose comme ça … » Vain espoir que je nourris que par mes propos ça lui ait donné l’envie de laisser tomber l’entraînement. Je n’ai pas envie de voir la peur dans ses yeux et j’ai peur qu’en fonction de ce qu’elle verra et si je perds le contrôle qu’elle m’en veuille d’avoir vu ce qu’elle a vu. Ça m’est déjà arrivée qu’une personne m’en veuille à cause de la peur qui s’est matérialisée devant elle. Ça peut être aussi un bon entraînement pour elle, un moyen de s’affranchir de ses terreurs, en même temps, mon pouvoir est probablement la meilleure façon d’affronter ses angoisses. « Êtes-vous toujours sûre de vouloir que nous le fassions ? »